Laboratoire dans le noir : pourquoi ?
Je vous ai déjà parlé de ce moment aveugle de la prise de l’image, au moment même où elle se fait, je ne la vois pas. (relire l’article «moment aveugle»).
Il y a un autre moment aveugle, pendant lequel les photographes qui pratiquent la photographie argentique, doivent être dans le noir absolu : c’est le moment, au laboratoire, pour le développement du film.
La surface sensible qui enregistre les images est chargée de sels d’argent dont la propriété est de noircir à la lumière. Noircir plus ou moins, selon le temps où l’obturateur ouvert, a laissé entrer la lumière et en quelle quantité. Noircir plus ou moins, selon l’intensité et la qualité de la lumière, et selon la nature des objets photographiés. Tout est donc à la fois modulé et modelé dans des nuances de noirs, de blancs et de gammes de gris. Évidemment, une fois les vues faites, gardées dans le rouleau du film, en attendant d’être développées, si l’on sortait ce film à la lumière, les sels d’argent continueraient à noircir, jusqu’au noir absolu ! et le modelé enregistré disparaîtrait !
Laboratoire dans le noir : développement du film
Il va donc falloir sortir ce film enroulé sur lui même, au laboratoire dans le noir absolu. Il ne faut pas que la moindre parcelle de lumière vienne fausser les réglages que l’on a fait. Je m’installe : un décapsuleur, des ciseaux, une cuve qui peut contenir un ou plusieurs films, son couvercle et une spire pour enrouler le film. (s’il était mis en vrac dans la cuve, certains morceaux pourraient se coller, car le film est long). Donc enrouler le film sur la spire et ensuite mettre la spire dans la cuve se fera dans le noir absolu, sans oublier de bien clipser le couvercle. Ensuite, je pourrai mener le traitement chimique, qui permettra aux images d’être révélées et fixées.
Laboratoire dans le noir : panique pour certains
L’expérience du laboratoire dans le noir absolu est un vrai moment de panique pour certains clairvoyants. Parvenir à décapsuler, sortir le film de la bobine, couper bien droit son amorce, tenir la spire, enrouler le film sans le faire tomber, couper à nouveau la fin du film sans couper dans la dernière image, trouver le couvercle et le clipser. Tout cela sans voir, en tâtonnant, dans un passage entre l’imaginaire et le toucher. Il faut arriver à trouver chaque objet, l’un après l’autre, sans donner un coup, et les faire valser, ce qui le ferait tomber et compromettrait le déroulement.
Laboratoire dans le noir : une spatialité perturbée
Pour préparer mes élèves, j’ai mis en place, il y a quelques années, ce que j’appelle un test de spatialité :
- Premier temps : je montre ce qu’il faut faire, ensuite, la personne installe sur la table les différents objets utiles, et fait ses repérages.
- Deuxième temps, elle se masque les yeux, je nomme les objets que la personne doit toucher au fur et à mesure, à l’endroit où elle les a placés.
- Troisième temps, je perturbe l’ordre et demande à ce que les objets soient à nouveau ordonnés, sans pouvoir voir ce qui est fait.
- Quatrième temps, je renomme les objets qui doivent être à nouveau touchés au fur et à mesure, dans le nouvel agencement, sans se tromper.
Pour certains les objets ont été réordonnés de façon plus condensée, plus étroite, et pour d’autres, de façon plus large. Quand il s’agit de toucher les objets, la main se balade dans l’air, et va chercher l’objet à l’endroit où il était placé tout d’abord, ou de façon bien plus rapprochée. Évidemment, le fait de voir ou ne pas voir entraîne une autre spatialité. Cet exercice permet d’en prendre conscience et d’apprivoiser plus étroite ou plus large, les différences de spatialité. Permettre moins de panique au laboratoire, dans le noir absolu.