Pour énoncer la photographie nous devons choisir les images, entendre une demande personnelle.
Le cours Écouter les photographies se poursuit avec Liliane, qui m’a donné l’autorisation d’écrire son prénom, à la place de ma participante.
Peu à peu, le choix de photographies se précise : les années 1940-50-1960.
Sa demande est de retrouver les objets qu’elle a connus, enfant, jusqu’à ses douze ans avant de perdre très progressivement la vue. Les souvenirs reviennent, les objets se reforment, les ambiances, aussi. Les temps se mélangent. La photographie est quand même une chose étonnante.
Énoncer la photographie : à voir et à en dire
Cela m’oblige à regarder différemment, avec une autre intelligence. Cela nécessite une autre pénétration de l’image. Je dois trouver les signes et les objets de ces années-là. Je n’avais jamais approché les images des photographes de cette manière: ce qu’il y a à voir et ce qu’il y a à en dire… en coexistence.
Comme photographe, j’investis l’image pleine et entière. je travaille en affinité avec le fond et la forme. Je la laisse venir à moi. Je l’éprouve. Je la subis et je m’en défends. J’envisage l’univers de l’autre. Je ne cherche aucun dénouement de sens. La question revient avec force : de quelles manières regardons nous les photographies ?
De l’intrigue.
Mais là, j’ai une promesse à tenir: raconter, énoncer la photographie !
Alors, je pars en reconnaissance, je plonge carrément dans l’évènement, dans le scénario. J’accroche mon regard dans l’image en fonction de leurs objets, et des personnages. Je regarde la manière dont ils sont mis en scène, mis en rapport entre eux.
Je ne cherche rien de très simple. Il faut qu’il y ait du mystère, de l’intrigue, des choses que je ne vois pas, que je ne comprends pas pas tout de suite.
Je me rattache au piquant de la scène déroulée, je requiers de la drôlerie. Liliane ne veut pas d’histoire angoissante. Je pars en reconnaissance de l’inhabituel, du dérangement et des assemblages.
Et puis, je veux qu’il y ait du texte, des affiches, des lettres sur des devantures.
Liliane aime beaucoup lorsque je sors ma loupe parce que je ne vois pas bien, que je devine, que je cherche à déchiffrer. Parfois je découvre quelque chose que je n’avais pas vu: « Tiens, mais elle est en pantoufles, ça alors…! ».
Les mots abandonnés
Je jongle entre les représentations et le jeu des mots.
C’est souvent l’image qui m’en impose. Elle me réduit à me dire que je manque de vocabulaire !
Incontestablement, je vois bien ce que c’est, là, ce que je regarde. Mais je ne trouve pas le mot qui le nomme.
Et seule à voir, je dois me débrouiller. J’espère que Liliane va deviner. Je partage les indices, ensemble nous cherchons.
Je convoque la constitution même des objets dans l’image, leurs formes, leurs matières, leurs couleurs.
Ces objets sont traditionnellement liés aux générations et aux réalités qui les expriment. J’en prends conscience de façon inattendue et pourtant naturelle. C’est un vertige et une singularité de la photographie.
À regarder des objets désuets, réapparaissent des mots abandonnés. Ils se réveillent pour faire revivre les rémouleurs, les bonimenteurs, les paletots et les sébiles….
Une transmission en cours.
Progressivement, nous abordons l’habileté des photographes, leur face à face avec la réalité. Nous constatons le hasard bienvenu, la valeur documentaire de la photographie. Nous constatons les usages d’une époque, la manière d’investir la rue.
Nous réalisons à quel point comment le photographe profite d’une situation. Nous observons ce que la photographie ne dit pas: par exemple le net et le flou, qui selon son étendue ne permet pas de reconnaître un objet.
lorsque les motifs se retrouvent dans les images des uns et des autres,Liliane me demande la différence de style entre les photographes. Elle veut que je lui précise: comment voit-on la lumière en photographie et comment cette photographie apporte une ambiance ?
Nous avons donné un titre à celles qui n’en avaient pas pour nous repérer. Même si, j’aime regarder les photographies sans lire les titres pour ne pas être happée par une sorte de prédétermination.
Liliane a choisi «les fillettes et les bulles de savon» une photographie d’Helen Levitt pour accompagner ses vœux de nouvelle année. Elle l’a faite découvrir à ses amis voyants, qui, étonnés, lui ont posé des questions… Ravie «d’en avoir une idée», ils ont échangé leurs impressions.
Alors je me dis: «Travail accompli»
♦ Les fillettes et les bulles de savons – Helen Levitt (entre 1936 et 1948)
♦ L’homme aux jumelles – Helen Levitt (après 1959)
♦ Paris 1952 – Henri Cartier-Bresson (Le couple de jeunes mariés se faisant photographier sur le trottoir)
♦ L’ accordéoniste de la rue Mouffetard – Robert Doisneau Paris 1951
♦ Pékin 1949 – Henri Cartier-Bresson
♦ Café Curieux – Robert Doisneau Paris 1953